Les femmes-troubadours, ou le féminisme avant l'heure
On le sait encore trop peu, au XIIe siècle, il y avait aussi les trobairitz (nom occitan des femmes-troubadours) qui faisaient entendre leurs voix, à côté et à égalité des hommes, non seulement dans les chansons d'amour, mais aussi dans la vie de tous les jours : seigneuriale, civile et religieuse. Jean-Claude Dugros, écrivain,conférencier et passionné de poésie nous en parle.
DG: Pouvez-vous nous lire un extrait de la poésie des trobairitz ?
JCD : Avec plaisir ! « Bels amics, avinenz e bos, Quora'us tenrai en mon poder, Et que jagués ab vos un ser, E que'us dès un bais amorós ? » (Bel ami, charmant et courtois, quand vous tiendrai-je en mon pouvoir ? Que ne suis-je couchée un soir auprès de vous pour vous donner baiser d'amour !)*. Ainsi chantait la Comtesse Béatrice de Die, la plus célèbre d'entre elles.
DG : Quels sont les thèmes abordés dans les écrits des trobairitz ? En quoi sont ils différents ?
JCD : Affection, joie, douleur, passion composent les textes de la lyrique amoureuse des trobairitz. On a recensé une vingtaine de femmes-troubadours, il y en eut certainement davantage, de nombreux textes sont perdus, la période qui a suivi l'âge d'or de la civilisation occitane étant peu favorable à la sensualité de ce lyrisme féminin…Pourtant, cette littérature « féminine » oubliée doit être lue aujourd'hui sans a priori. Alors que le troubadour homme déploie une stratégie de conquête, la dòmna (la Dame), elle, choisit librement et revendique son statut de femme, annonçant Christine de Pisan, Louise Labé, Olympe de Gouges…
DG : Quel a été l'influence de cette production poétique à l'époque?
JCD : En notre temps de changement du statut social de la femme, c'est le moment de rappeler que les trobairitz, au même titre que leurs homologues masculins, les troubadours – dont nous rappelons que les plus célèbres étaient Périgourdins et Limousins –, méritent toute notre attention ; leur raffinement formel et poétique est tout à fait à la hauteur de celui des hommes. Leur poésie a influencé durablement la littérature ,européenne d'abord et mondiale ensuite.
DG : Les trobairitz ont-elles eu des « descendantes » jusqu'à nos jours ?
JCD : Huit cents ans plus tard, la poésie occitane est toujours présente et les femmes, au même titre que les hommes, chantent l'amour avec affection, joie et douleur. Marcelle Delpastre, Bénédicte Bonnet, Brigitte Miremont-Orazio, dans notre région, Marcelle Drutel en Provence (compagne du Périgourdin Pierre Miremont), sont de très beaux exemples de la vivacité de la poésie occitane.
Denis Gilabert.
*Texte extrait de « L'amour au féminin : les femmes-troubadours et leurs chansons », introduction et traduction de Pierre Bec, édition bilingue occitan-français, éditions Fédérop, 2013, 192 pages, 15euros.